Publié par Impartial Actu.
La mise en examen de l’homme d’affaires français Vincent Bolloré par la justice française, en relation avec ses opérations en Guinée et au Togo, en a surpris plus d’un, en Europe comme en Afrique. Certains y ont vu la main d’une justice qui aurait fini par « bouger ». D’autres s’en félicitent comme si c’était la « justice africaine » qui aurait enfin agi. Et d’autres s’en indigent, parmi eux, Vincent Bolloré, le mis en cause. Vincent Bolloré ne semble pas vraiment comprendre ce qui lui arrive. Et je vais surprendre beaucoup d’observateurs en disant que la frustration et l’étonnement de Vincent Bolloré, exprimés dans une tribune parue dans Le Journal du dimanche du 29 avril 2018, ne me semblent pas feints de la part de son auteur. Simplement parce que beaucoup d’affaires se sont souvent faites en Afrique et en raison de la manière dont son groupe et d’autres ont opéré sur le continent, et ce, depuis des lustres.
Cette question permet de comprendre l’indignation de Vincent Bolloré qui estime être la victime d’un mauvais procès. Mais comprendre ne veut pas dire justifier parce que, s’il y a eu mise en examen, c’est qu’il devrait y avoir des éléments qui, dans le dossier, demandent des observations et analyses plus poussées sur des présomptions de violations de règles de droit. Le fait même que des violations présumées de règles de droit aient pu être observées et tolérées pour d’autres acteurs peut légitimement poser des problèmes éthiques, d’iniquité et d’inégalité de traitement devant la loi, mais ne permet pas de faire en sorte que l’exception se substitue à l’application de la loi dans un cas particulier. Ma défunte chère maman me disait : « Mieux vaut me dire que tu n’es pas coupable que de me dire que tu n’es pas le seul coupable. »
Cela dit, je comprends d’autant mieux l’indignation de Vincent Bolloré que les procédés qui semblent aujourd’hui sujets à « enquête sur des faits présumés de corruption de fonctionnaires étrangers » me semblent avoir été officiellement tolérés par la justice de plusieurs pays dits développés, dans leurs rapports avec l’Afrique. Je crois même savoir que, dans certains de ces pays, les opérateurs économiques sur l’Afrique pouvaient déclarer les sommes offertes en « commissions » à des fonctionnaires et les déduire des résultats de leurs entreprises pour ainsi les soustraire des impôts, de la même manière que les dons à des œuvres caritatives sont traités dans des pays comme les États-Unis. C’est comme si la pratique des « commissions » payées à des fonctionnaires étrangers faisait partie des coûts d’opération dans le cadre de modèles d’affaires officiellement reconnus, avec des implications en termes de fiscalité que l’on pourrait qualifier de « promotion économique ». Donc rien que de la « transparence » synonyme de conformité aux règles de « bonne gouvernance » !
Comment alors ne pas s’étonner ou même s’indigner d’une mise en examen sur base d’avantages et/ou de conflits d’intérêts présumés, voire de corruption de fonctionnaires étrangers ? Offrir des « commissions » sous quelque forme que ce soit comptabilisées dans les opérations d’un groupe à plusieurs centres de coûts et de profits pour obtenir des concessions ou « gagner » des projets s’apparente-t-il à des pratiques de corruption de fonctionnaires ? Ou bien sommes-nous en face de problèmes de sémantique, tels que la pratique du juridisme permet de qualifier des faits, en fonction des objectifs poursuivis ? Qu’est-ce qui a changé sur le terrain des affaires en Afrique que les acteurs économiques et financiers du continent africain ne semblent pas avoir encore compris ?
Vincent Bolloré lors de l’assemblée générale du groupe Vivendi le 19 avril 2018. © ERIC PIERMONT / AFP
Une des réponses à ces questions est à chercher dans la globalisation irréversible de l’économie mondiale. Celle-ci se développe avec, entre autres, son cortège de cupidité, de voracité et de cannibalisme économique sur fond de guerre de positions entre « grandes puissances » entre elles et entre « grandes puissances » et « puissances émergentes ». L’Afrique est devenue la nouvelle frontière de la guerre économique, après que l’Asie a vécu et bien consolidé son rôle d’usine du monde. Le « miracle » asiatique s’est accompagné de la désindustrialisation accélérée de l’Europe et des États-Unis dont les « économies-davantage-marchés-de-consommateurs » sont envahies par du « made in Asia » et des capitaux étrangers qui rachètent leurs actifs, y compris des fleurons culturels.
Pendant ce temps, l’Afrique a continué sans relâche d’exporter des emplois dans les pays où elle exporte ses matières premières pour qu’elles y soient transformées, y créant en même temps croissance inclusive et richesses qui permettent, entre autres, de financer l’endettement public des pays occidentaux.
Devant la crise généralisée d’opportunités économiques dans les pays occidentaux et les bouleversements sociopolitiques qui y ont été induits par cette situation, le monde fait actuellement face à des risques accrus de protectionnisme, voire de guerres commerciales directes entre partenaires politiques et géostratégiques traditionnels. Avec ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Bolloré », des Africains et des assoiffés de justice sociale jubilent, comme si l’esprit des lois et l’état de droit avaient subitement bourgeonné pour essaimer sur le continent africain et veiller à l’application stricte des principes de libre et juste concurrence pour le bien de tous. Je crains fort qu’ils ne se trompent de sujet, étant toujours assis sur le banc de touche en regardant les matches qui se jouent sur leurs propres terrains et dont les résultats les affectent en premier lieu.